Comité de la Prévention Spécialisée de Paris

Projet théâtre de l'AJAM

Projet théâtre de l'AJAM

redimlive (1).png  logo-ajam_96.jpg

« Les trois associations AJAM 19, Entraide et le LAI 18 ont mobilisé des jeunes (filles et garçons) de trois quartiers différents du 18 et 19e arrondissement pour créer un spectacle théâtral qui leur a permis d'exprimer : la violence quotidienne, les rixes inter-quartiers et les risques de radicalisation. Soutenus par les éducateurs et animateurs des trois structures, c'est Farid Abdelkrim, metteur en scène, qui les a accompagné durant 15 mois pour la représentation finale qui s'est tenue le 10 Mai  2017 à l'auberge de jeunesse Yves Robert. Ils sont drôles, sincères et plein d'humanité. »

Rachida Azougue, Directrice

 

Entretien avec Abdramane Doucouré, l’éducateur de l’AJAM qui a accompagné ce cheminement…

Qui étaient concernés par le projet ? Un groupe mixte, de 13 à 23 ans, au départ d’une dizaine de jeunes, qui s’est réduit au final réduit à six jeunes. Si certains ont quitté le groupe, le travail individuel avec chacun a pu continuer, et chaque jeune a apporté sa contribution dans le projet. Les jeunes qui ont « quitté le navire » sont partis sur d’autres choses. Un des jeunes a pris ce qu’il avait à prendre (apprendre comment parler, quelle posture adopter, développer son vocabulaire, investir la scène…) et s’est retiré du projet. Il a ensuite été accompagné au Maroc pour tourner un film qui sortira en décembre (Mariage (blanc) pour tous). Le jeune a pu répondre aux castings que je lui ai trouvés grâce à l’atelier théâtre. Un autre jeune a fait un film (Wallay) en suivant le même cheminement. Ils ont pu utiliser ce dont ils avaient besoin, le but étant de prendre ce qui leur était bénéfique.

Le lien de confiance existait déjà avec ces jeunes ou est-ce qu’il s’agissait de le créer ? Le lien de confiance est relatif… tu pensais avoir une relation de confiance installée, mais le jeune va se confier pendant le projet, et tu t’aperçois à la fin qu’elle est devenue beaucoup plus forte. La relation de confiance ne se crée que par rapport à la cohérence entre le discours et ce qu’on met dans l’accompagnement.

Le groupe était ce qu’on appelle un groupe naturel ou un construit ? Certains jeunes venaient de Danube, d’autres de Crimée, orientés par l’AJAM, le LAI et Entr’aide. Ces jeunes ne constituaient pas un groupe naturel, mais le jour de la restitution ils semblaient un groupe naturel. Ce travail s’est donc fait entre des jeunes qui viennent de quartiers différents. Le soir de la restitution, la salle était remplie de jeunes qui venaient de tous ces quartiers, et plus encore. C’était l’exemple même que des jeunes qui au quotidien ont du mal à se côtoyer peuvent être dans un même lieu pour un même objectif.

Quels ont été les sujets abordés et comment ont-ils été choisis ? Discrimination, liberté, démocratie, républiques, droit de vote… Lors de la première séance, l’intervenant (Farid Abdelkrime) utilise des questions de départ (tu as déjà été violent ? la violence représente quoi pour toi ?). Ensuite, il s’agit de partir sur des champs lexicaux, de tirer le fil conducteur. Certains sujets sont traités en profondeur, d’autres survolés. Ceux qui sont restés ont écrit la pièce ensemble, mais ont fait beaucoup d’improvisations. La restitution s’est dessinée au fil du temps. Elle est l’exemple même de la persévérance des jeunes.

Selon quelle régularité se tenaient les ateliers ? En principe tous les mercredis, à 18h. Ce qui était souligné, c’était l’importance de venir, même en retard. Venir dit déjà quelque chose. La ponctualité sera travaillée après. Ce sont des jeunes qui quittent un arrondissement qui est le leur, qu’ils n’ont pas l’habitude de quitter, pour un territoire sur lequel ils peuvent avoir peur de représailles, parce qu’ils sont affiliés à un quartier, pour un projet nouveau pour eux. Plusieurs séjours ont aussi eu lieu : une journée à Nantes pour aller voir une pièce et deux résidences pour travailler la restitution et toutes les notions de théâtre, mais aussi la cohésion de groupe, la complémentarité entre les jeunes, le vivre ensemble, se lever, travailler, se concentrer, couper avec le monde extérieur.

Ali, photographe, a filmé certaines scènes. C’était important, pour se revoir, immortaliser certains moments. Certaines vidéos permettent de voir l’évolution des jeunes, par les éducateurs, mais par les jeunes eux-mêmes, et c’est vrai jusqu’à l’évolution de la taille de certains des jeunes qui ont bien grandi !

Quel a été l’apport du travail en partenariat pour ce projet ? Le travail en partenariat se faisait déjà (l’AJAM, avec le LAI et Entr’aide, fait partie des partenaires privilégiés sur une coordination qui réunit de nombreuses associations du 19ème pour des sorties à la mer, sur des bases de loisir, un accès à la culture pour des personnes qui n’ont pas l’occasion de sortir). Ce genre de projet renforce le travail en commun, mais ouvre aussi les jeunes sur d’autres arrondissements, d’autres structures. L’objectif de la Prév est d’orienter les jeunes vers des structures de droit commun, d’emmener les jeunes vers d’autres horizons.

Qu’est-ce qui, pour toi, est essentiel à retenir ?  Le travail en partenariat, entre les arrondissements ; l’origine du projet (initié par l’ancien chef de service, dans le contexte des attentats notamment, avec la volonté d’un projet qui ait des répercussions sur les jeunes, mais aussi sur les habitants des quartiers concernés) et son évolution avec les différents interlocuteurs qui ont pu intervenir, ainsi que les jeunes. Ce projet montre qu’un éducateur se sert de tout et de rien comme support. Dans chaque projet, il faut prendre en compte les individualités et les particularités, les difficultés, mais aussi les potentialités, ne pas faire de généralités, ne pas mettre la barre trop haute pour chaque jeune pour ne pas le faire chuter. Le travail de groupe consiste à travailler sur les individualités, doit permettre une plus-value sur l’individualité. Le projet doit être ajusté pour prendre en compte les potentialités et les envies des jeunes, pas des éducateurs.

Le mot de la fin ? Les jeunes étaient agréablement surpris par la restitution. « C’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens » et là, les musiciens ont été très bons, et les applaudissements les ont bien récompensés !